L’expérience européenne à l’heure de la grande récession
Recensement des habitants, du bétail ou du maïs, sur papyrus il y a 3000 ans en Égypte, comptes administratifs tenus sur des cordes et des nœuds des Quipus Incas au 16ème siècle, recensement des hommes adultes aptes à servir dans l’armée de l’Empire romain… On trouve des traces d’enquêtes publiques aussi loin que remontent les premiers récits de nos civilisations.
Les enquêtes publiques et recensements ont depuis été modernisés et servent généralement des fonctions plus pacifiques. Allant au-delà de données purement numériques, ces enquêtes prennent désormais en compte les tendances, attitudes et perceptions publiques – par exemple, l’impact de la crise économique sur l’emploi, les heures de travail ou les opportunités de formation des citoyens européens, mais aussi sur l’image qu’ils se font de leur propre situation, leurs valeurs morales et sociales ou encore leur niveau de satisfaction à l’égard de leur démocratie.
L’enquête European Social Survey (ESS), a donc été établie en 2001, dans le but de mesurer l’évolution sur le long-terme du climat social, politique et moral de l’Europe. Elle s’appuie sur 250 000 questionnaires et entretiens face-à-face dans 30 pays et sur des sujets aussi variés que les valeurs morales et sociales, la perception de l’état providence, l’exclusion sociale ou le sentiment d’insécurité.
En comparant les résultats de 2004 avec ceux de 2010 nous pouvons d’ores et déjà dresser un premier bilan de l’impact de la récession économique sur l’Europe. Saviez-vous, par exemple, qu’en dépit de la crise et de la récession, les niveaux de confiance sociale n’ont que très peu changé entre 2004 et 2010 ? Dans certaines régions, ces niveaux de confiance ont même augmenté. Une satisfaction accrue envers les services de santé dans toutes les régions européennes ainsi qu’une plus grande tolérance envers l’homosexualité sont d’autres exemples d’évolutions positives.
Certains éléments viennent cependant assombrir le tableau. Sans surprise, et suite à la crise économique, l’intensité du travail (charge de travail importante à accomplir dans de courts délais) a augmenté dans toutes les régions européennes. L’intensité de travail ne représente, cependant, un risque important de dommages psychologiques qu’en cas d’association à un faible niveau de contrôle sur l’environnement professionnel (faible participation au processus de prise de décision par exemple).
La probabilité de recevoir une formation a baissé de 20% entre 2004 et 2010 mais la répartition des opportunités est restée constante et dans certains pays ces opportunités de formation sont même devenues plus également distribuées.
La confiance à l’égard des systèmes politiques dirigeants et la démocratie offre, en revanche, un bilan mitigé à travers l’Europe, mais il semble que les gouvernements de la zone euro ont été particulièrement affectés en termes de légitimité. Le chômage a des effets dommageables à long terme à la fois sur la confiance et sur la satisfaction envers la démocratie, et des niveaux élevés de méfiance et d’insatisfaction ont été enregistrés en Grèce.
Ces résultats ont été présentés par une équipe de chercheurs associés à l’enquête « European Social Survey » lors d’un séminaire de l’OCDE intitulé « The Economic Crisis, the Quality of Work and Well-Being – The European Experience in the Great Recession » organisé par la Direction des Statistiques dans le cadre de son travail sur la mesure de la performance « au-delà du PIB ».
La mesure de la performance « au-delà du PIB » est également l’un des objectifs de l’Indicateur du vivre mieux, ainsi que la comparabilité. Les quipus Incas nous rappellent l’importance des données universellement déchiffrables, tandis que plusieurs siècles plus tard, le mystère autour de la signification des cordes, nœuds et couleurs reste intact.
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