Pire encore?
Auteur invité
3 pôles traditionnels du capitalisme mondial – le Japon, l’Europe et les États-Unis – semblent rivaliser pour le titre de la plus large dette publique. Quel pays est le plus irresponsable fiscalement et pourquoi ? Craig J. Willy de la Bertelsmann Stiftung foundation se penche sur cette question.
Pratiquement toutes les économies dites développées font face à des défis majeurs, à moyen-long terme, dans leur réduction de l’endettement public. Le Sustainable Governance Indicator (SGI) est un moyen unique d’analyser ce phénomène dans des pays en particulier, utilisant des indicateurs quantitatifs et des évaluations qualitatives. Cet article se concentrera sur le cas de l’Europe de l’Ouest, des États-Unis, et du Japon, à travers le prisme du SGI. Cette analyse abordera les chiffres bruts d’endettement, les coûts du refinancement, et les perspectives de croissance économique.
Japon
Le Japon affiche les pires chiffres bruts. Sa dette publique, a déjà dépassé 200 pour cent du PIB et le déficit pour l’année fiscale 2011 était de 10 pour cent, se plaçant à l’avant-dernière place juste devant les États-Unis. Le Japon paie remarquablement peu d’intérêts sur sa dette nationale – seul 1 pour cent de son PIB en 2009 – en grande partie parce que cette dette est largement détenue par des institutions domestiques et des particuliers.
Les perspectives d’amélioration étant peu encourageantes, le niveau de préoccupation s’accroit à propos de la dette. Démographiquement, la population du Japon est la plus âgée dans le monde, après Monaco. Ses perspectives de croissance sont extrêmement faibles, avec une réduction de sa population et du nombre de travailleurs et l’inflation du nombre de retraités. Le SGI souligne que « les rôles traditionnels attribués au genre restent déterminants », limitant la participation des femmes au marché du travail et contribuant au très faible taux de fécondité du pays.
En évitant l’accumulation de la dette extérieure, le Japon a habilement évité de nombreux problèmes liés à l’endettement excessif et notamment : l’instabilité financière et l’élévation des taux d’intérêts. Le système semble cependant s’essouffler et le Japon sera peut-être bientôt confronté à un dilemme peu enviable, devant choisir entre l’augmentation des impôts dans une économie sans croissance et la réduction des dépenses du gouvernement. Contrairement aux pays comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie, le Japon a néanmoins des options de refinancement bien meilleures du fait de ses taux d’intérêt peu élevés.
États-Unis
L’accumulation du déficit aux États-Unis se différencie de la plupart des autres pays développés de par ses causes. En termes de perspectives budgétaires, le SGI considère la situation des États-Unis comme étant proche de celle du Japon, dans le bas du tableau et devançant uniquement la Grèce. La dette américaine a dépassé les 100 pour cent du PIB et le déficit varie entre 9 et 11 pour cent depuis la crise financière. Ceci est dû en partie aux plans de sauvetage industriel, plans de stimulus et stabilisateurs économiques, tels que les allocations chômage. Le SGI reconnaît néanmoins la nécessité de ces derniers afin d’éviter que la récession n’évolue vers une dépression.
Les déficits chroniques proviennent cependant de caractéristiques spécifiquement américaines. Le SGI les décrit comme « en grande partie provoqués par les politiques de l’ère Bush, avec des réductions fiscales, notamment pour les groupes de revenu les plus élevés, ainsi qu’une hausse des dépenses, notamment pour Medicare (remboursement des médicaments sur ordonnance) et les guerres en Irak et en Afghanistan. »
Il s’agit là d’exceptions américaines. Aucun autre pays ne se retrouve endetté par manque d’imposition des riches ; à cause d’un système de santé extrêmement coûteux absorbant près de 17 pour cent du PIB (environ deux fois plus que dans les autres pays dits développés) ; et à cause de ses dépenses militaires. Cela signifie en revanche, que les États-Unis ont plusieurs leviers d’action évidents. En théorie, des mesures relativement simples pourraient radicalement augmenter les revenus et réduire les dépenses. Si les revenus fiscaux, les coûts liés à la santé et les dépenses militaires s’alignaient sur la moyenne de l’OCDE, le gain économique pourrait atteindre 15 pour cent du PIB. Certes, il s’agit là d’une simple projection, mais elle illustre la marge de manœuvre considérable que possèdent les États-Unis en termes de fiscalité.
Dans la pratique, cependant, et malgré un consensus bipartite théorique sur la réduction du déficit, une amélioration de la situation paraît peu probable. Comme le souligne le SGI, « les deux partis ont exclu toute augmentation des impôts conséquente, l’essentiel des dépenses se situe dans des programmes inamovibles tels que les programmes de santé, les retraites et la défense, et les versements d’intérêts nets ». Il conclut de manière laconique: “Les politiques de tels processus d’ajustement sont imprévisibles”.
La politique américaine – caractérisée par une forte polarisation et des réformes difficiles du fait de l’influence d’intérêts particuliers à travers le financement des campagnes politiques – rend l’amélioration de la situation peu probable. Cependant, les difficultés auxquelles font face les États-Unis sont mitigées par d’autres facteurs : des perspectives de croissance économique relativement bonnes grâce en large partie à la croissance démographique (du fait de l’immigration massive et d’un taux de fertilité élevé pour un pays développé) et au rôle prépondérant du dollar dans l’économie internationale. Grâce à ce dernier, il est probable que les États-Unis continuent à se refinancer à travers sa banque centrale, la Réserve fédérale, en cas de besoin. La monnaie américaine procure également d’autres avantages, difficiles à quantifier : les entreprises américaines peuvent travailler à l’étranger en dollar, le prix du baril de pétrole étant aligné au dollar, les États-Unis ne doivent pas payer un prix plus élevé pour le pétrole lorsque le dollar baisse.
Europe
La situation en Europe est plus compliquée. Le continent regroupe à la fois certains des pays les plus performants (Norvège, Suède, Suisse) et les moins performants (Grèce, Irlande). En termes de perspective de croissance démographique, l’Europe est à mi-chemin entre le Japon et les États-Unis, ayant un taux de fécondité relativement faible (moyenne de l’Union Européenne de 1.6) et un niveau d’immigration moyen.
En termes de dette et de déficits – malgré ce que peut suggérer le titre – l’Europe se trouve en réalité dans une meilleure posture que les États-Unis ou le Japon. En 2011, les nations de l’UE avaient en moyenne, à la fois une dette moins importante (82.5 pour cent à 103 pour cent) et un déficit moins marqué (4.5 pour cent à 8.6 pour cent) que les États-Unis. Comme le montrent des recherches de l’OCDE, les économies européennes auraient besoin bien moins de consolidation fiscale afin de réduire leur dette à 50 pour cent du PIB d’ici 2050.
Cependant, la relative discipline fiscale européenne est ébranlée par deux facteurs importants. Le premier est le taux d’intérêt relativement élevé que les européens, et plus particulièrement les membres de la zone euro, paient pour leur dette publique. Comme l’indique le SGI, en 2009, même la relativement vertueuse Allemagne a dédié 2.3 pour cent de son PIB au paiement d’intérêts, sensiblement plus que les États-Unis (1.5 pour cent) et que le Japon (1 pour cent), malgré la dette bien plus importante de ces pays. Les pays ne bénéficiant pas de la confiance des – principalement la Hongrie, l’Italie et la Grèce – ont vu plus de 4 pour cent de leur économie se faire absorber par le paiement d’intérêts.
La deuxième difficulté est liée à la crise de la zone euro. En plus des coûts écrasants du refinancement dans certains pays, la menace du défaut de paiement et de la fuite des capitaux rend impossible le retour de la confiance des entreprises. Les perspectives fiscales de l’Europe s’amélioreraient significativement si la zone euro était réformée de manière efficace. Il serait notamment nécessaire de réduire les taux d’intérêt (à travers le rétablissement de la confiance envers la zone euro, une mise en commun de la dette ou une intervention de la BCE) et s’engager à réduire durablement (ou éliminer) les déficits.
Conclusion
Les trois pôles traditionnels de l’économie capitaliste font tous face à des perspectives décourageantes en termes de dette publique. Bien qu’ils partagent certaines caractéristiques – États-providence, population vieillissante, déclin dans la croissance de la productivité – ils diffèrent cependant dans le degré et la nature de leurs difficultés. Le cas du Japon paraît particulièrement délicat, la moindre amélioration nécessitant un changement radical des normes sociales ou bien une élévation du niveau d’imposition.
Dans les cas de l’Europe et des États-Unis, la situation paraît moins désespérée mais les perspectives d’amélioration semblent se heurter à des obstacles politiques. Les économistes peuvent tenter de prévoir la suite et spéculer. Mais il est tout à fait incertain que les « vaches sacrées » de la politique américaine puissent-être retouchées dans le but de redresser les finances, ou bien que les européens parviennent à dépasser leurs tabous nationaux afin de créer une zone euro viable, et ceci quel que soit le modèle économique.
La Fondation Bertelsmann, créée en 1977, est la plus grande fondation privée à but non lucratif d’Allemagne. Elle s’emploie à promouvoir l’amélioration de l’éducation, un système économique juste et efficace, un système de soins de santé préventifs, une société civile dynamique et une meilleure collaboration internationale. La Fondation Bertelsmann est indépendante et non partisane. Ses indicateurs de gouvernance durables (SIG) sont un sondage international sur la gouvernance dans l'OCDE qui identifie les besoins pour, et la capacité à mener à bien les réformes. Il met en lumière les pratiques prospectives et offre un accès complet à son ensemble de données. Les indicateurs sont fondés sur des données quantitatives provenant d'organisations internationales telles que l'OCDE, Eurostat et la Banque mondiale, et sur des évaluations qualitatives d'experts nationaux reconnus.
Pour les derniers rapports économiques de l'OCDE, voir http://www.oecd.org/fr/economie/
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